jeudi 30 octobre 2014

Quand il le fallait




Depuis le décès d'Albert je ressens une fatigue incessante et mon cerveau est tout embué par  des milliers de pensées qui s’interjectent les unes avec les autres.  J'ai le sentiment trouble et presque méchant que je n'ai pas suffisamment cotisé pour être habilitée à autant souffrir de sa disparition.

Je n'arrive pas à déterminer quelle était la nature de mon lien avec lui (qui justifierait un tel vide après sa mort). Par extension je n’arrive pas à déterminer qui je suis devenue et quelle partie de moi-même mon beau-frère  a enterré avec lui.  C'est un cliché mais je le dirai quand même: j'ai vieilli de 10 ans en un jour. Ni la mort de maman, papa, ou de Mali, ne m'auront donné ce coup de vieux. Comme un coup de couteau.

Albert m'avait dit un jour, en 1974: "Il faut que tu vois American Graffiti". Nous sommes donc allés au cinéma. Quand il le fallait, il le fallait. Il ne s'agissait pas d'un avis, d'une recommandation mais d'un décret à mettre en application le jour-même pour me guider sur mon chemin de jeune cinéphile.

32 ans plus tard c'est avec le même ton qu'il me dit: "Il faut que je t’emmène à mon cours". Nous sommes donc allés ensemble à son fameux cours du jeudi soir. Quand il le fallait, il le fallait. Consciente du grand honneur qu'il me faisait je savourais chaque seconde de ma présence dans cet antre de la connaissance . "C'est la petite sœur de Mali"' ainsi m'avait-il présentée. J'avais participé au cours de Ghemara apparemment très précise et concentrée mais en réalité complètement ivre (de bonheur).

Cet été, pendant la dernière opération militaire "Bordure Protectrice" Albert m'avait téléphoné pour prendre de mes nouvelles et celles de ma famille. Je lui décris les alertes, le palier qui était devenu notre refuge. Il posait plein de questions. Il était comme d'habitude, sa voix à peine altérée par la maladie. Ce fut notre dernier échange et ses derniers mots à mon égard furent "prend bien soin de toi ma chérie".