mercredi 4 mars 2015

Lost




Mon premier souvenir de Pourim date de l’époque ou la base de l'OTAN était encore à Châteauroux. La fête de Pourim s'y déroulait dans une salle qui me semblait immense et avec un nombre très important d’invités. Imprimé dans mon souvenir un événement ou plutôt une situation: Monsieur Perla  qui aimait bien faire des blagues en général et qui n'allait pas s'en priver le jour de Pourim, me demanda de lui prêter ma perruque. J’étais déguisée en petite fille russe vêtue d'un costume folklorique de couleur verte, des bottes et une perruque blonde avec deux longues nattes. Je ne sais pas quel age j'avais. Peut-être 10 ans. Les américains sont partis le 20 mars 1967 et j'avais 10 ans et demi. Monsieur Perla dont la tête chauve était à présent garnie de ma perruque dansait en faisant virevolter les nattes. Les rires fusaient de partout.

Plus tard, d'autres fêtes de Pourim eurent lieu mais je ne m'en souviens pas. Seule celle de la base de l'OTAN m'est restée à l'esprit comme si elle avait tenu également le rôle de la dernière fête, le dernier bonheur, le dernier adieu aux américains que j'avais tant aimés et qui me l'avait bien rendu. J'avais du laisser partir Vicky, ma partenaire que l'on m'avait choisie au tirage au sort et que j'avais appris à aimer, apprivoisée. Comment nous conversions ensemble en anglais des notre première rencontre demeure encore un mystère. A ses dires, je parlais déjà l'anglais au tout début de l’année, une improbabilité allant sur l'impossible puisque nous commencions seulement cette année-là les cours d'anglais au programme bilingue de l’école américaine de l'OTAN.

A la fête de fin d’année, j'avais reçu un prix "Le prix de la sincérité". Je n'étais guère impressionnée comprenant tout de suite qu'il s'agissait de n'importe quoi, du bullshit en anglais.  Mais je jouais le jeu et acceptais avec le sourire le livre enveloppé de papier brillant que l'on me tendait. Je jetai un oeil sur la couverture; c'était l'histoire d'un chien - la barbe! Je n'aimais pas les chiens. Le lendemain je lisais le livre, en anglais bien entendu et avec des illustrations. Le chien s'etait perdu et recherchait tout le long de l'histoire sa famille. Il trouvait d'autres familles qui l’accueillaient mais il s’échappait toujours pour chercher sa vraie famille. Ainsi il errait seul et malheureux et puis un jour, après avoir mis des annonces un peu partout, sa famille le retrouve et il rentre chez lui fou de bonheur.

Longtemps je gardais ce livre sous mon oreiller. Les américains, entre temps, étaient partis emportant avec eux leurs sourires éblouissants, leurs mâchoires majestueuses, des tonalités qui me charmaient, des rires irrésistibles, toute une atmosphère qui m'avait séduite et intoxiquée malgré mon jeune age. Vicky aussi me manquait et la belle institutrice aux yeux bleus, si douce et si patiente.

Quand ils sont partis les américains, j'avais bien compris qu'ils étaient partis. Ce que je n'avais pas compris c'était qu'ils ne reviendraient jamais. Le temps passait et je croyais qu'ils allaient revenir. Je les attendais. Je perfectionnais mon anglais. Un jour, en regardant une série télévisée américaine avec mon père, je fus saisie par une révélation: c’était fini et il fallait que je les oublie. Mon père ne comprit pas pourquoi ce soir la je lui demandai de me parler en allemand pour améliorer ma conversation. Il en était ravi. Justement, il avait tout le temps du monde; il avait fait une crise cardiaque et se reposait à la maison.

Les années passèrent et je savais au fond de moi que l’Amérique était ma famille et mon nom malgré l'incontournable réalité qui m'avait fait naitre et grandir en France. J'attendais de la retrouver. J'attendais que quelqu’un mette des annonces sur tous les murs de la planète avec le message "Petite fille un peu timide et assez spéciale, très sincère, perdue en 1967 sur la base de l'OTAN à Châteauroux, recherchée par son futur époux pour rentrer à la maison."