mercredi 17 août 2016

Les rues: la rue de la Poste II




La rue de la Poste se terminait par les Nouvelles Galeries et rejoignait la rue Victor Hugo. C’était l'unique grand magasin de Châteauroux. C'est là-bas que je fis deux découvertes sur ma personne. La première était que je ne supportais pas les grands espaces. Chaque visite à ce magasin me renvoyait chez moi avec des palpitations, une légère nausée et le sentiment que la fin du monde se rapprochait un peu. La deuxième révélation fut que je n'aimais pas faire du shopping. Acheter des vêtements, des bijoux, du maquillage me semblait une occupation désagréable qu'il fallait raccourcir au possible. Encore aujourd'hui, je déteste faire du lèche-vitrines. 

Mes amies du lycée, par bravade plus que par bêtise, chapardaient de temps en temps des bagues ou autres quincailleries sur les étalages des Nouvelles Galeries. J’étais tentée de le faire pour ne pas avoir l'air d'une trouillarde mais je trouvais toujours un moyen de m'esquiver. En fin de compte, j'en parlais un jour à Bernard qui me dit: "Mais ton père, tu n'y penses pas!" Cela faisait bien longtemps que papa n'avait pas glissé la main dans mes cheveux, peut-être parce qu'on se parlait moins depuis que j'avais grandi mais surtout parce qu'il était hospitalisé à Paris depuis au moins 8 mois et qu'il pouvait mourir à tout moment.  Je le voyais le week-end aux heures des visites et nous n’étions jamais seuls. Je l'avais déjà perdu en quelque sorte. 

En face des Nouvelles Galeries se trouvait la place de la République. Le café de Paris trônait sur l'avant faisant le coin avec la rue Victor Hugo. Je ne le fréquentais guère car je m’étais mis dans la tête que c’était un café de bourgeois. J'allais m’asseoir ailleurs, souvent au Bar Parisien où les élèves du lycée se retrouvaient. Pourtant, un jour, mon amie Anne et moi, nous sommes attablées au Café de Paris. Cette exception était due au fait que nous avions entamé une tournée de tous les cafés et bars du centre-ville. L'opération consistait à commander toujours la même boisson: un cassis crème. 


C'est comme cela que nous avons terminé notre long circuit au Café de Paris, éméchées, hilares et ruinées. Anne et moi étions amies depuis la quatrième. Je l'avais adoptée dès son arrivée à Châteauroux. Ses parents étaient enseignants et venaient d'y être mutés. Les filles de la classe se moquaient d'elle et l'appelaient le pruneau. Nous la dépassions toutes d'une bonne tête.  L’année suivante, en seconde, elle était svelte et plus grande que nous. A vrai dire, Anne et moi ne formions pas un couple assorti. Elle aimait faire les 400 coups et fuguait régulièrement pour revenir ensuite à la maison, livide et très meurtrie. Moi je ne prenais pas de risques et ne perpétrais aucunes folies. Ma mère attendait de moi que je sois une gentille fille. Le reste ne la concernait pas.

Le jour où je me suis assise au Café de Paris avec Michel, un ami que nous appelions Catherine et moi Philo ou Goldy, à cause de ses mèches blondes, il faisait doux et lumineux. Nous étions en juillet 1974, il portait une chemise claire qui tranchait sur sa peau bronzée. Un petit moment de bonheur s'est infiltré dans les reflets de verres malgré l’impossibilité de mener une conversation normale avec cet individu dont la principale occupation professionnelle était la revente de drogues dures. C’était un vieil ami (depuis le début de l’année scolaire) et je crois sincèrement que ce qui lui a plu chez moi, maman chérie, c’était que j’étais une bien gentille fille, très patiente, très à l’écoute, avec qui il pouvait parler pendant des heures entières de la difficulté de vivre, de la dureté et lâcheté des êtres humains, de sa déception et de la solitude. 


Je l'aimais bien malgré son apparente laideur morale. Je l’ai revu sporadiquement à Paris. Sa santé se dégradait progressivement. Quand je reçus la nouvelle de son suicide, je passais l’été dans un kibboutz comme volontaire. Nous étions en août 1977. Le jour-même je décidais de tourner le dos à ma France natale et de m'installer en Israël pour toujours. Vidée de toutes mes larmes, j’avais compris qu'une page de ma vie était tournée et qu’il fallait aller de l’avant, il fallait vivre.


Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2015-2016

lundi 15 août 2016

Les rues: la rue de la Poste I



La rue de la Poste croisait la rue Ledru-Rollin et l'hôtel des postes se trouvait à 3 minutes à pied de l'atelier. Tous les jours, quelqu'un s'y rendait pour mettre les lettres à la poste. Lorsque j'avais 9 ans environ, j'eus l'initiative d’écrire des lettres à une amie épistolaire totalement imaginaire à qui je racontais en détail tout ce qui me passait par la tête. Je mettais régulièrement mes lettres à la poste. Cette correspondance dura quelques semaines jusqu’à ce que maman reçut un coup de téléphone des bureaux de poste. Mes lettres n’étaient que des feuilles de papier pliées et collées avec du scotch.  A la poste, ils en avaient un peu marre de tomber sur mes missives quotidiennes, bien évidemment non-timbrées. 

Comme mon nom de famille figurait sur les lettres, on en fit part poliment à ma mère qui me transmit le message sans me gronder et sans me laisser penser que j'avais fait quelque chose de répréhensible. Je crus même discerner sur ses lèvres un sourire et compris que cette histoire ne lui déplaisait pas outre mesure. Alors que nous rentrions à la maison et allions monter dans la DS, maman raconta à papa ce qui s’était passé. Il garda un visage stoïque tout en me regardant un peu obliquement. Je ne sais à quel moment exact il passa la main dans mes cheveux, sans rien dire et sans sourire, mais c’était une belle journée.

Quand j’étais petite, maman m'emmenait chez l'oto-rhino, rue de la Poste, qui se nommait, il me semble, Dr. Samuels. Cet homme que je rencontrais par ailleurs dans les différentes activités de la communauté juive, ne m’était pas vraiment sympathique. Je n'aimais pas du tout la façon dont il plantait sa lampe dans ma gorge pour inspecter mes amygdales. Mais je préférais cela à une lampe agencée sur son front et de drôles d'instruments pointés dans la même direction. Ma visite la plus désagréable fut celle où en plus de la lampe et des instruments s’ajouta une forte odeur de chloroforme suivie par un petit sommeil dont je me réveillais effarée et, de façon générale, pas contente. Le Dr. Samuels m'expliqua qu'il m'avait enlevé les amygdales mais que j'avais de la chance car maintenant il fallait que je mange de la glace uniquement. Il me parlait gentiment et je notai que son oreille droite était complètement estropiée.  Je ne sus jamais s'il s'agissait d'une vieille blessure ou d'une malformation.

Maman prenait pendant ce temps-là des poses théâtrales à travers lesquelles transpirait toute une cacophonie de sentiments qui allaient de l’angoisse à la terreur, du chagrin à la douleur, de la fierté à la culpabilité, de l’humilité à l'arrogance. Troublée par toutes ces émotions emmêlées, elle tenait un mouchoir et se séchait discrètement le coin des yeux. Elle ne pouvait pas supporter l’idée que l'on puisse me faire mal. Quand, étant bébé, le Dr. Rosenberg voulut me vacciner contre la variole, maman refusa tout net de le laisser faire. Il réussit à la persuader en lui proposant d'appliquer le vaccin sur le pied au lieu du bras. Elle accepta à contre cœur.

A l'âge de 11 ans, il fallut que je me rende à l'évidence: j’étais myope. L'oculiste nous recevait maman et moi, rue de la Poste. Chez l'opticien qui était à quelques mètres, je choisis des lunettes avec très peu d’enthousiasme, indifférente de mon sort. Je venais de rentrer en sixième; c’était l’époque où je ne me voyais pas. Sur la photo de classe mes cheveux, pourtant courts, sont en désordre, j'ai une chaussette en bas, l'autre en haut,  et mes lunettes sont de travers. Quelques années plus tard, à la place de maman, c’était Bernard, mon ami d'enfance, qui m'accompagnait chez l'opticien. A 18 ans, j’étais alors consciente de chaque battement de cils, de chaque parole, de chaque mouvement.

Après l'essayage de lunettes, nous nous sommes assis dans un bistrot assez tranquille, en face. Nous avons commandé et nous avons parlé comme d'habitude, les yeux dans les yeux. Nous pouvions également rester longtemps sans rien dire à écouter notre respiration, à boire le café brûlant, à fumer. Tels des personnages de roman de Tolstoy, nous nous sachions destinés l'un à l'autre. L’enchaînement des jours allaient forcement se conclure par notre union, dans un monde prédestiné et tranquille où notre famille et nos amis nous salueraient avec plaisir et soulagement. Pourtant ce mariage n'eut jamais lieu, ce destin partit bien vite en fumée. Comme le dit Bernard après mes fiançailles: "De toute façon, on se ressemble trop."




Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2015-2016

mardi 9 août 2016

Les rues : la rue Nationale


Très tôt, parallèlement à la rue Ledru-Rollin, j'ai dévalé la rue Nationale. Je n’étais pas seule, ma sœur m'accompagnait. A vrai dire c’était moi qui l'accompagnais puisque elle allait à son cours de piano et je la suivais comme un chien suit son maître, avide de nouvelles aventures, avide de bonheur, avide d'attention. J'avais 4 ans, je crois, quand je commençai à faire cette promenade entre la maison et la rue ou habitaient Monsieur et Madame Hadt.

La rue Nationale n'offrait à vrai dire que peu d’intérêt. C’était une morne suite de maisons provinciales grises et peu attrayantes. L’œil ne s’arrêtait sur rien. Deux coins de rue cependant me reviennent en mémoire. Au coin de la rue Nationale et la rue du Palais de Justice, se trouvait le marchand chez qui j'allais régulièrement pour acheter les magazines féminins de maman: Marie-Claire, Marie-France. Je les feuilletais mais je ne les aimais pas. Je n'aurais pu dire ce qui me déplaisait.

Derrière ce pâté de maison, donnant sur la rue du Palais de Justice, se trouvait un endroit complètement anodin, les bureaux locaux du parti communiste. Lorsque que nous passions devant, maman me serrait toujours la main très fort, comme si elle avait peur que par hasard ou malchance, je m'y égare et y disparaisse. Pendant ce temps-là, je fermais les yeux et me laissais guider par le staccato des pas de ma mère, puissant et déterminé.

Plus loin sur la rue Nationale, une charcuterie faisait le coin de la rue Paul Louis Courrier. Je rentrais peu dans le magasin. J'aimais regarder les étalages, toutes les formes de cochonnailles intouchables, les carcasses de lapins pendus comme des malfrats. Les relents envahissaient tout mon appareil respiratoire, mon appareil digestif et toutes les circonvolutions de mon cerveau. Je me sentais agressée par ces odeurs enivrantes, comme si elles appartenaient  à un autre monde, une autre enfance qui ne pouvait pas être la mienne.

Non loin de là, rue Paul Louis Courrier,  mon école en 10eme (les Capucins) voisinait curieusement avec la prison municipale. Puis, la chaleur intense, la noirceur de l'atelier barrée d'une lumière foudroyante, les coups sur l'enclume: le forgeron, déjà métier disparu dans les années 60, mais encore là en face de mon école. Encore là.

Je n'ai pas réussi à retrouver sur la carte l'adresse de M. et Me Hadt. Peut-être les noms des rues ont-ils changé ou tout simplement je les ai oubliés. Je trouve cela triste aujourd'hui d'avoir perdu l'adresse de ce charmant couple, tous deux professeurs de musique qui m'avaient initiée à l'amour des notes, à la beauté de la musique, à son importance. A 4 ans j'apprenais chez Me Hadt à écrire des notes. A 15 ans j’arrêtai mes cours brusquement, possédée par un immense désir de rupture.

Le long de la rue Nationale je ruminais souvent en allant à mon cours de piano. Je m'en voulais de n'avoir pas suffisamment travaillé mes morceaux. Pourtant, je jouais du piano tous les jours, plusieurs fois par jour. Mon cœur battait très fort alors que l'heure de mon cours approchait. Je ne voyais n'y n'entendais plus rien. Je sonnai et me précipitai au premier étage dans la pièce ou Me Hadt donnait ses cours. Elle m'attendait, le visage sérieux, calme. L'examen tant redouté du conservatoire était pour bientôt; elle comptait sur moi. Ce n’était pas le moment de la laisser tomber.




Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2015-2016