jeudi 5 février 2015

Ecriture automatique






Quand j’étais en première, mon ami JP et moi avions mis en place un comité de poésie automatique. Nous en étions les seuls membres et militants. Le principe était simple: dès qu'un cours se terminait et que la classe se désemplissait de ses élèves, JP et moi nous précipitions craie en mains. Nous couvrions le tableau d'un texte improvisé selon le principe de l’écriture automatique.

« Placez-vous dans l'état le plus passif ou réceptif que vous pourrez... écrivez-vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas vous retenir et ne pas être tenté de vous relire » a écrit André Breton sur l’écriture automatique. Ainsi écrivions nous ensemble dans une symbiose remarquable, à l'affut des mots de l'autre et pourtant complétement détachés de notre conscience, dans un état second.  Nous sortions de la classe dès que les premiers élèves du cours suivant arrivaient, laissant notre poésie exposée nue sur le tableau, éphémère aussi, puisque le professeur viendrait bientôt et l'effacerait sans scrupules. 

Ainsi de classe en classe, de tableau en tableau,  partout dans le lycée nos poésies apparaissaient, publiées pendant quelques minutes seulement pour les yeux d'un public qui les lisait par lambeaux, se demandant toujours si au prochain cours, le tableau serait rempli ou pas du texte passager. A cette époque de ma vie, écrire des dizaines de poèmes jour après jour me semblait normal. Le faire sur un support éphémère me donnait la force de réinventer tous les jours d'autres idées poétiques.

Pendant ce temps-la mon père était hospitalisé à Paris à 270 kilomètres de notre domicile. Il resta dans les hôpitaux pendant 10 mois, du mois de décembre 1972 au mois de septembre 1973. Contre toute attente il survécut. Moi aussi, j'ai survécu, en déversant tous les jours sur les tableaux noirs de l’école mon amour passionnel pour un père qui agonisait, la rage et la peur de le voir partir, la honte de souffrir, la solitude devant la maladie, l'angoisse de me perdre moi-même, si profonde qu'elle me mettait dans un état de demi-sommeil, d’indifférence totale face à mon propre devenir.

Alors je fis ce que j'avais à faire: je fermai les yeux et laissai mes mains remplir le tableau noir.