jeudi 19 décembre 2019

50 av. de Verdun: l'escalier


Je suis assise sur le bas de l'escalier. Deux jolies petites souris trottinent dans le couloir entre la véranda et l'escalier. Là, elles y sont tout à leur aise pouvant à leur gré pointer leurs museaux dehors pour inspecter le monde des humains tout en menant leur vie quotidienne au sous le sol de la maison.  Je m'amuse avec elles. Je leur donne à manger. Elle sont mes amies. Je leur raconte mes petites histoires.

Quand la bonne s'affaire silencieusement dans un coin à plier des vêtements ou recoudre des bas, et que la maison tombe dans le silence, elles aussi me chuchotent des secrets.
- Alors? C'est un jour saucisson ou camembert? demandent-elles avec curiosité.
- Plutôt camembert, dis-je. Tout me fatigue et m'ennuie.
- On a un scoop pour toi sur les papiers peints. Ça t'intéresse?
- Je n'aime pas l'odeur de la colle.
- D'accord. Alors on te raconte? Ce n'est pas long.
- Oui, oui, si vous voulez.

Quand tu étais toute petite tu as monté les escaliers avec les mains toutes tachées. Était-ce du chocolat, de la peinture?  Personne ne s'en souvient plus. Bref, tu étais petite et pour monter, tu t'appuyais sur le mur. La bonne et ta maman essayèrent en vain de nettoyer les taches mais elles résistaient. En fin de compte ta maman se résigna. Elle ne voulait pas changer le papier peint, alors sur chaque tache elle peint délicatement une fleur, des roses surtout. Longtemps tu écartais les doigts sur chaque fleur le long du mur, sachant que chacune d'elle témoignait de ta petite enfance. Puis ta maman fit venir Monsieur Charlot et il changea les papiers peints dans toute la maison. Les fleurs disparurent une à une et tombèrent dans l'oubli.

En général, je m’asseyais en bas de l'escalier et j'attendais l'apparition des souris. Il m'arrivait aussi de m’asseoir tout en haut. C’était la dernière marche avant la salle de bain.  Je pouvais voir l'horloge entre le mur de la véranda et le début de l'escalier. J'observais ses aiguilles, lentes mais assidues. Dans le calme, la grande aiguille battait du tambour: boum boum, boum. Autant que je le sache j'ai toujours discerné les bruits plus fort, les lumières plus intenses, les odeurs plus envahissantes. Ces sensations que je percevais très fortes alors qu'elles n’étaient qu'anodines, pouvaient longtemps rester avec moi, particulièrement les odeurs. L'odeur de la colle, par exemple, me hante depuis toujours et je ne sais pas pourquoi.

De mon perchoir j'observais la circulation dans le couloir entre la salle à manger et la cuisine. Maman, maman, la bonne, la bonne, la bonne, la bonne, maman, maman, ma sœur qui monte l'escalier, elle ne compromet pas ma surveillance. La bonne, la bonne, maman. Maman rentre dans la véranda. La bonne la rejoint. Papa vient en bas des escaliers. Il lève la tête et me voit. Il me regarde sans rien dire. Il ne sourit pas. Son beau visage est immobile, comme pétrifié. Il allume une cigarette. C'est comme ça que je l'aime dans l’écran des gauloises filtres, submergé par la fumée. Maman et la bonne sortent de la véranda, l'une va dans la salle a manger, l'autre dans la cuisine. Papa recule vers la salle à manger et demande à maman: quel âge elle a, la petite?





Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2015-2019

mercredi 28 août 2019

50 av. de Verdun: la cuisine



Un couloir partait de la salle à manger pour atteindre la cuisine. L'horloge de la maison, accrochée bien haut à l'entrée du couloir résonnait régulièrement. Elle était précisément réglée par mon père qui  montait sur une chaise pour dresser l'animal. Lui seul était accrédité à  toucher l'horloge. Tant qu'il vivait, le temps battait sa mesure.

La cuisine était petite mais regorgeait pour moi de centres d’intérêt. Tout de suite à gauche en entrant se trouvait une porte qui donnait sur le jardin, puis une table et un évier. Des placards avaient été construits au dessus de l’évier et sur le côté.  Ils avaient été fait sur mesure, selon la taille de ma mère qui faisait un 1m52. Donc pratiquement personne ne pouvait se tenir droit pour faire la vaisselle. Je crois que maman cuisinait le dimanche, jour de congé de la bonne. Le vendredi, elle était partiellement présente et la bonne et elle s'affairaient à préparer le dîner de shabbat.

On ne parle pas d'une cuisine juive sans mentionner la carpe allongée dans l’évier, assommée mortellement par le bâton du poissonnier. En un instant elle se réveille, bondit hors de l’évier et gigote énergiquement sur le carrelage. Les hurlements de la bonne, à ce moment, alertent tout le quartier. "Madame, madame, venez vite!!!! La caaaaaaarpe!!!!" Maman, qui n'en est pas à sa première carpe,  vient au secours de la bonne et toute deux tachent de l'attraper, le tout accompagné de cris, gloussements et fou-rires. Moi, ça me faisait plaisir de voir maman et la bonne de bonne humeur ensemble. Cela n'arrivait pas souvent.

Une cuisinière en face de l’évier. Je ne savais pas cuisiner. Je ne savais rien faire, ni faire mon lit, ni mettre mon linge au linge sale, ni utiliser la machine à laver, ni passer l'aspirateur, ni, en général, faire le ménage. Rien. Maman ne voulait pas que je rentre dans la cuisine. Elle disait qu'il n'y avait pas de place. La bonne aimait bien au contraire que je m'assois près d'elle. Je la regardais hacher la viande, couper les légumes, laver les fruits. Elle me donnait un petit bout de fromage, une rondelle de pèche. "Comme tu es mignonne", elle disait. Je lui en était bien reconnaissante.

Pour mes sept ans mes parents m'ont offert un couple de canaris. On avait accroché la cage dans la cuisine entre le placard et la porte de la cave. Je me juchais sur un chaise et chantais avec les oiseaux. J'avais décidé de leur apprendre des chansons. Ce jeu m’occupa très longtemps et pendant des mois je bloquais l’accès à la cave. Les canaris eurent des petits. Je roucoulais de plus belle et élargissais mon répertoire. Parfois, la bonne se mettait à côté de moi et participait, plus ou moins consentante, à la chorale. Nous rions ensemble sous le regard des oiseaux. Je m'accrochais à son cou consciente de ces moments de bonheur volés. Car je le savais, elle pouvait, à tout moment, quitter sa place de bonne dans notre maison, parfois en laissant un billet derrière les volets, parfois non.




Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2015-2019