mercredi 5 août 2015

Au retour il faisait nuit




 Il y a quelque temps, j'ai rêvé de mon père. Son visage était serein mais énigmatique, laissant deviner une source de contentement sans toutefois se donner la peine de sourire. Grosso modo il avait l'air satisfait. Je me réveillai avec ce visage devant moi qui me parlait tout en restant coït et dégageait une aura phénoménale. A ma stupéfaction, lorsque je lançai mes jambes vers la droite pour descendre de mon lit, le visage resta immuable devant mes yeux.

Assise sur mon lit, le dos courbé, je frottai mes yeux plusieurs fois mais cela ne servit à rien: le visage de mon père était toujours là. Je ne trouvais rien de mieux à faire que de verser quelques larmes et elles chassèrent le visage en un instant. Pouvoir me souvenir de mon père m'a toujours préoccupée; ma plus grande angoisse est de me lever un matin et de ne plus me souvenir de lui. Sans la mémoire de mon père, tout mon être s’écroulerait et je ne serais plus qu'un pantin.

Je parle de papa alors que c'est le yahrzeit d'Albert z"l que nous venons de marquer. Albert qui était mon beau-frère a été le témoin de toute ma vie puisqu'il m'a connue quand j'avais 3 ans et s'est marié avec ma sœur quand j'avais 3 ans et demi. Si mon père m'a construite, a forgé mon caractère, la force inflexible de mon cœur et mes nombreuses faiblesses, c'est Albert qui a pris le relai. Sans vouloir faire un travail éducatif, ses actions, surtout dans le domaine du judaïsme, constituaient pour moi un modèle vivant. Je trouvais naturel de copier tout chez lui, ses opinions politiques, sa soif sans limite du savoir, son acharnement à aller jusqu'au bout de ses initiatives.

Il y a bien longtemps, dans les années 80, Albert et moi sommes descendus en voiture de Paris à Châteauroux. Notre visite terminée (une petite virée chez mon frère) nous avons pris le chemin du retour. A un moment donné je me rendis compte que nous avions bifurqué et n’étions plus sur la route vers Paris. Je le regardais, étonnée, et il me répondit en riant : " Tu vas voir, c'est une surprise". Une fois dépassées Issoudun et Reuilly, il fut bien évident que nous nous dirigions vers Preuilly. "On va à Preuilly! On va à Preuilly! criai-je en sautant sur mon siège. En quelques minutes j’étais tombée dans un état d'excitation incontrôlable.

C’était comme ca. Albert m'avait emmenée à Preuilly juste pour me faire plaisir. Nous avons rendu visite aux Sorbe et c’était surréaliste tant c’était beau, simple et chaleureux. Avant même de rentrer dans la maison j'avais aperçu une immense silhouette derrière la fenêtre et j'ai tout de suite reconnu Jean-Michel. Alors qu'Albert tentait une explication "ce n'est pas Geneviève, c'est Nathalie" Jean-Michel l'interrompu pour dire qu'il le savait du moment ou il m'avait aperçue.

Au retour, il faisait nuit. Albert a mis France Culture et j'ai pleuré contre la vitre de la voiture. Ce n’était pas de mauvaises larmes, pas du tout, et mon beau-frère qui l'avait compris, nous ramena à Paris dans le silence.




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