mercredi 23 novembre 2016

Les rues - L'avenue de Verdun - 2



J'ai vécu quotidiennement dans la même rue pendant 18 ans. Tout était à sa place et je ne me posais jamais de questions comme si j’étais née sur une scène de théâtre inamovible et permanente. J'ai du mal, ainsi, à me souvenir des commerçants car ils se fondaient dans une image lisse et assoupie qui allait de soi. J'ai le regret aujourd'hui de ne pas avoir davantage exploré ma rue, de ne pas l'avoir chassée et capturée comme je le faisais à Preuilly pour tous les paysages. L'avenue de Verdun n’était pas un paysage mais une extension de mon corps que je regardais à peine.

Pas très loin de la maison nichait une mercerie où de temps en temps nous allions acheter des fournitures. La patronne avait accumulé avec les années une gigantesque collection de cartes de vœux. Nous parcourions avec délice cet étalage pour chercher une carte qui conviendrait à un anniversaire ou une fête des mères etc. La majorité des cartes étaient anciennes avec  des illustrations bucoliques et naïves, parsemées de dorures. Parfois, une heure entière passait sous les yeux de la propriétaire qui dispersait des encouragements, des conseils et surtout un sourire doux et bienveillant.

Pratiquement en face de la maison se trouvait durant mon enfance une fabrique ou un atelier qui appartenait, il me semble, à la famille Citoleux. C'est là qu'à la fin des années 50 y travaillait un jeune homme, Pierre. En sortant du travail il remarqua une jeune fille brune qui fermait les volets de sa maison, en face. Il l'observa quelques temps avant de lui dire bonjour. Cette jeune fille, Annick, lui dit qu'elle travaillait chez des juifs. Elle avait été engagé 3 ans plus tôt quand sa patronne était enceinte.

Les jeunes gens aimaient bien se parler. Un jour ils partirent faire une promenade au petit bois là où la petite de la patronne avait l'habitude de jouer. Ils se rencontrèrent ainsi plusieurs fois, toujours accompagnés de l'enfant. Pierre qui avait un sourire magnifique et de beaux yeux foncés, apprit à la connaître et l'apprivoisa. Cela plaisait beaucoup à Annick qui adorait la petite fille et ne la quittait jamais des yeux.  A vrai dire elles étaient en osmose toutes les deux depuis la naissance de l'enfant. Ainsi, Pierre avait-il trouvé le chemin du cœur d'Annick. Le jeune couple se fiança et la jeune fille, à l'âge de 20 ans, quitta la maison de ses patrons pour construire sa vie.

Je me souviens de cet homme comme s'il était encore présent devant moi, joyeux, bavard, optimiste. Je me souviens de son regard sur cette jeune fille qu'il n'aimait pas encore mais déjà il ne pouvait pas passer une journée sans la voir. Je me souviens de lui qui revient avec moi de la promenade heureux, léger, lumineux. Il me prend la main en jubilant, il regarde la femme qu'il convoite. Moi je l'aimais, j'avais confiance en lui.

J'avais compris qu'Annick allait partir donc moi aussi j'allai partir.  Nous allions partir tous les trois. J'avais fait un rêve où j’étais assise dans ma poussette. Je me retournais pour voir qui se tenait derrière moi; Annick et Pierre me poussaient ensemble et me regardaient avec amour et fierté. Je ne me souviens pas de l'instant où j'ai compris qu'elle partait sans moi. Maman assistera seule au mariage avec ma sœur à ses côtés. Les photos montreront que papa debout dans la rue me portait à bout de bras alors que je hurlais de tout mon soûl.

Le déchirement que j'ai vécu ce jour-là ne s'est jamais entièrement dissipé. J'ai toujours eu honte d'avoir été autant marquée par une séparation aussi banale. En gros, la bonne avait grandi, s’était mariée et était partie. C'est ce qu'elles faisaient toutes éventuellement. Il me fallut attendre 35 ans pour recueillir un témoignage crucial: ma mère m'apprit en 1994 qu'Annick n'avait pas supporté non plus la séparation. Après son mariage elle avait souffert d'une dépression et dans son désarroi demandait constamment à me voir. Son mari était venu en parler à ma mère. En fin de compte, Annick tomba enceinte et donna le jour à une petite fille qu'elle nomma Nathalie. Pour elle, le drame était clos.




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mercredi 9 novembre 2016

Les rues: l'avenue de Verdun - 1


Je suis née avenue de Verdun, à Châteauroux, au no.50. J'y ai vécu jusqu’en octobre 1974 quand, à l'aube de mes 18 ans, le bac en poche, je tournai le dos à mon enfance et montai à Paris. L'avenue de Verdun s'appelait dans le passé l'avenue de l’hôpital car c'est là que s'y trouvait l’hôpital. J'y suis allée une seule fois dans ma vie quand j'avais 5 ans et 2 mois. Ma belle-sœur y avait accouché d'une petite fille que mon frère et elle appelèrent, curieusement, du même nom que moi. On ne m'a jamais donné d'explications à ce sujet. Dans mon imaginaire un peu débordant, je me suis inventée cette histoire: à l’époque j'avais été kidnappée et mon frère, pensant que je ne reviendrai jamais, avait appelé son bébé Nathalie.

Mes parents s’étaient installés avenue de l’hôpital à la fin de la guerre. Leur demande d'ouvrir une affaire de vêtements de cuir à Paris leur fut refusée car celle-ci pourrait faire concurrence avec des citoyens français (mes parents étaient encore polonais à l’époque) et on leur permit, par contre, de s'installer à Châteauroux, la ville la plus de proche de Neuvy-Saint-Sepulchre, là ou ma mère et ses 2 enfants avaient vécu et survécu pendant la guerre. Durant ces premières années à Châteauroux, mes parents confectionnèrent des canadiennes qui s'arrachaient comme des petits pains. Rapidement ils durent engager du personnel et trouver un plus grand local pour leur affaire; c'est dans rue Ledru-Rollin dans un bâtiment qui avait abrité une ancienne salle d'armes qu'ils s'établirent.

L'avenue de Verdun était plutôt résidentielle avec quelques commerces éparpillés sur son long. J'allais souvent faire des courses. J'ai des souvenirs de ces excursions à partir de l'age de 6 ans environ. A cette époque, dans les années 60, nous n'avions pas de supermarchés. Tous les achats étaient faits dans le quartier ou dans les marchés. J'allais à l’épicerie acheter du camembert et dès mon plus jeune age je savais ouvrir la boite et appuyer sur le fromage avec mon pouce. Je prenais aussi des yaourts encore dans des pots de verre. Les pots étaient rendus à l’épicerie après usage pour être recyclés. Je ne sais plus ce qu'il en était des bouteilles de lait. Au debut des années 60, il se peut qu'elles étaient aussi en verre.

J'aimais bien aller à la boulangerie à cause des odeurs, bien entendu, mais aussi parce que l'achat du pain m'apparaissait comme une tâche primordiale. Rentrer à la maison la baguette sous le bras, résister à la tentation de grignoter sur le court chemin, heureusement, entre la boulangerie et la maison, mettre le pain sur la table et savoir que dès ce moment, la famille pouvait s'attabler, était la source d'une saine et puissante satisfaction. Par contre, chez le boucher je gigotais de partout, un peu mal à l'aise. Je le suspectais d’être un mauvais homme, bien avant que j'ai eu la moindre idée de ce dont un mauvais homme était capable. Du haut de mes 7 ans, je ne lui faisais pas confiance. Il y a des choses qui ne s'expliquent pas.

Notre voisin vendait du vin. Nous avions l’habitude d'entendre les tonneaux rouler lors des livraisons. Nous n'avions pas de contacts avec ces marchands et je n'ai jamais vu leur commerce de l’intérieur. Je ne les ai pratiquement pas rencontrés le long de toutes ces années. Pourtant, un jour, je sonnai à leur porte. C’était en novembre 1973. Mes parents étaient partis en vacances à Cannes et m'avaient laissée seule à la maison. C’était une belle période de ma vie car papa venait de finalement quitter l’hôpital Tenon. En tout, depuis son premier accident cardiaque en décembre 1972, il avait été hospitalisé pendant 10 mois. Il était rentré à la maison seulement muni d'une canne et d'un sourire jovial. Il avait conjuré la mort.

Dès que je le vis à la maison, une métamorphose incroyable se fit en moi et je reprenais vie moi aussi. Je commençai ma terminale dans un état euphorique et légèrement instable, telle une naufragée qui aurait été secourue après une longue attente. Mes parents partis dans le midi, je dormais ma premiere nuit seule à la maison. Des bruits terribles me réveillèrent pendant la nuit. Le lendemain j’écoutais les chuintements, grattements, grincements jusqu'au matin sans fermer l’œil. Je sonnai chez les marchands de vin au troisième jour. Mon voisin fit le tour de toute la maison, vérifia bien dans le grenier et la chambre de bonne. Il ne trouva rien de suspect et m'expliqua que la nuit, une maison respirait. Etant seule, je captais tous les bruits de cette maison vivante dont les escaliers crépitaient et sifflaient, dont les parquets gémissaient et riaient. Je me résignais à leur présence.

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