lundi 10 août 2020

50 avenue de Verdun - Le grenier



Au troisième étage, également, voisinant la chambre de bonne, se trouvait le grenier. Quand j’étais petite j’y allais souvent pour jouer avec de vieilles choses : un hérisson tout abîmé, une peluche de chien, une charrette en bois, une armoire de poupée, des livres d’enfants en français et en polonais, des chiffons, des journaux datant de trente ans, des vêtements des années 50, enveloppés de plastique. Un endroit de rêve pour passer et repasser son enfance dans une atmosphère engluée de mystère et très poussiéreuse. J’aimais y passer de longues heures, seule. Cependant, j’invitais une ou deux fois Françoise à me rejoindre. 

Elle était mon amie depuis la  première classe de la maternelle en 1959, quand j’avais à peine 3 ans. Je n’ai pas le souvenir d’avoir proposé la visite de cette pièce sombre à aucune autre enfant. Il faut dire que plusieurs fois par jour, Françoise et moi nous nous donnions la main, en rang, à l’entrée de la classe. Nous partagions tous les jeux ensemble à la récré. Elle venait parfois chez moi pour passer la fin d’après-midi. Son grand-père venait la chercher, un homme doux avec un long manteau, en face de qui je me figeais, interpellée par son importance, son autorité et son titre. « Mon grand-père » disait-elle.  « Grand-père » me disais-je. Cependant, même dans le grenier qui contenait de nombreuses traces de souvenirs comme des cartes postales ou de vieilles lettres en Polonais et en Yiddish, jamais je n’y trouvais une trace de mes grands-parents. 

Il y en avait, pourtant, dans la maison, au fond d’un placard : Les photos de mes grands-parents maternels et une carte postale datant de 1941, écrite par ma grand-mère maternelle, en allemand. Mais, étant petite, je n’y avais pas accès. Je m’étais résignée au fait que je n’avais pas de grands-parents et que l’histoire de la planète commençait avec mes parents, ma tante Madeleine, tonton Sender et tonton Srul. Cela me convenait, me rassurait même car c’était là une explication logique. L’apparition du grand-père de Françoise me perturbait surtout après que j’eus découvert le pot aux roses : mon autre petite amie, Anne, guettait parfois à la fin de l’école son « Pépé ». Allons bon ! Effrayée, j’en parlais avec Anne et Françoise et elles me confirmèrent ce que je craignais. La plupart des autres enfants de la maternelle avaient également des grands-parents.  « Ce n’est pas possible » me dis-je. Comment est-ce possible ? ». 

En fait, il me fallut très longtemps pour comprendre que le monde avait existé avant mes parents. Quand je lisais plus tard des livres sur cette époque, je me disais que cela ne me concernait pas. Même la belle photo de mon grand-père maternel Luzer que j’avais entre-temps découverte, ne me concernait pas. Même les histoires de maman sur sa famille me semblaient loin, peut-être même inventées de toute pièce. Ce petit village dont elle parlait avec tant d’émotions, Tarczyn, le décor de son enfance entre un papa et une maman qui la choyaient, c’était une chimère. Je n’allais plus tellement au grenier à cette époque car j’étais éblouie par les livres qui garnissaient la bibliothèque dans ma chambre et aussi par de nouvelles amitiés qui m’emportaient doucement vers l’âge adulte.

C’est à cette époque, il me semble, qu’en revenant du lycée, je descendais la rue de la gare. Soudain, je vis une fumée noire dans le lointain. « C’est vraiment beaucoup de fumée » me dis-je. En bas de la rue de la gare, en face de la station de train, je vis des flammes énormes s’échappant d’une petite fenêtre, au-delà du pont, à droite. Un grand effroi me saisit avant même que j’eus compris que le feu venait de l’avenue de Verdun et pas seulement de l’avenue de Verdun mais de ma maison. Etait-ce ma maison, ce qui correspondrait au 3ème étage ? Un écran de fumée couvrait les flammes et je ne voyais plus rien. Je piquai un sprint pour couvrir les quelques centaines de mètres qui me séparaient de l’incendie. 

Il s’avéra que le feu ne s’était pas déclaré chez nous mais chez notre pauvre voisine dont le chauffage à gaz avait provoqué une explosion. La vieille dame perdit la vie dans ce drame. C’était de sa fenêtre au 3ème étage, identique à la nôtre, que les flammes avaient jailli. Le mur du grenier, contigu à l’incendie avait bien souffert mais avait tenu bon. Une odeur de feu de bois avait envahi la pièce. Au début elle était insupportable et on ne peut pas dire qu’elle ne soit jamais devenue supportable. Il devint difficile d’y rester longtemps et j’espaçais mes visites. Il faut dire que de toute façon, j’avais dépassé l’âge de jouer avec de vieilles peluches ; les petites souris au bas de l’escalier, M. Banania dans la véranda, la danseuse verte sur la table de chevet de maman étaient bien d’accord avec moi.

Alors je descendis les trois étages, mes pieds agiles sur le bois craquant, je dépassai l’horloge que papa savait si bien régler, la salle à manger et le salon et je m’engageai dans le vestibule. J’ouvris la porte et je m'en allai.


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mercredi 5 août 2020

50 av. de Verdun: la chambre de bonne



Pour accéder à la chambre de bonne, il fallait monter les escaliers jusqu’au 3ème étage, sous les combles. Eclairée par une fenêtre de toit, la chambre était bien aménagée, étant habitée depuis longtemps par les domestiques qui avaient traversées notre maison. Elle comportait un grand lit très large, une grande armoire, une table de travail et un genre de canapé ancien ; Je crois me souvenir que c’était une méridienne, mais je doute que ce soit le cas. Située au-dessus de ma chambre, elle donnait elle-aussi sur l’avenue de Verdun, également avec un radiateur devant la fenêtre. 

Cet endroit m’était familier et l‘était d’autant plus quand se créait un lien important entre la bonne et moi. De façon générale, je m’entendais bien avec elle, ayant vite compris que malgré ses airs de Bécassine écervelée, elle régnait sur mon existence avec un pouvoir certain. Agée de 16 ans environ quand elle mettait le pied chez nous pour la première fois, elle nous quittait pour se marier ou tout simplement s’évader de ce travail très dur, 24h sur 24h avec le dimanche de congé. A mon grand désarroi, ma mère se chargeait parfois de la présenter à un jeune homme. La bonne qui travaillait chez nous quand j’avais environ 4-5 ans, et dont j’ai oublié le nom, se maria avec un ingénieur, et ma mère n’était pas peu fière d’avoir organisé leur rencontre. Une belle photo des mariés resta longtemps dans l’armoire de maman. Elle avait fait une bonne action mais moi j’avais encore perdu une gentille compagne de vie et j’avais du chagrin. 

De retour de la maternelle ou de l’école, je suivais la bonne partout, comme un petit toutou talonne celle qui va l’abreuver, l’alimenter et lui donner quelques caresses. Je la suivais aussi jusque dans sa chambre et cela arrangeait tout le monde. Elle pouvait mettre la radio et s’affairer à ce que bon lui semblait. Moi, je m’allongeais sur le lit et m’endormais. A mon réveil je coloriais sur son papier à lettre ou découpais des figurines. Pendant ce temps-là elle faisait son courrier, son petit ménage ou sa lessive. On était bien contentes toutes les deux. On se faisait notre petite vie. Ensuite on dévalait les escaliers en s’esclaffant et elle me donnait mon goûter dans la cuisine. 

Quand je grandis, environ à partir de l’âge de 10 ans, un grand changement s’opéra concernant mon lien avec la bonne. Elle me racontait son histoire. Elle parlait de sa famille, de son village, du bal ou elle avait rencontré un gentil garçon. Elle riait de bon cœur mais parfois elle pleurait sur ma petite épaule, pas trop fort, pour que personne d’autre que moi ne l’entende. Nous guettions ensemble le bruit de la porte d’entrée. Quand elle pleurait, elle ne disait pas pourquoi ; je pressentais bien que ces larmes étaient de mauvais augure. Deux ou trois semaines plus tard elle rentrait chez ses parents, sans même me dire au revoir, sans un baiser. Moi, je savais bien qu’elle ne pouvait pas faire autrement, alors je lui pardonnais. 

J’allais dans sa chambre, je m’allongeais sur le lit et m’endormais. A mon réveil je m’asseyais près de la table et attendais. J’attendais jusqu’à ce qu’une voix chuchote dans mon oreille « c’est pas grave, ma chérie, c’est des choses qui arrivent, ça va aller ». Mais le moins je pensais que c’était grave, le plus j’avais mal au ventre.  Lui aussi il me parlait, il disait que j’étais une très grosse menteuse et que ce n’était pas vrai ; ça n’allait pas du tout. Il se chargeait de me le faire savoir. Ah non mais ! En fait, je n’étais pas seule ; Je pouvais compter sur mon ventre pour me tenir compagnie et sur ma sœur aussi qui n’était jamais loin et sur qui aucun événement ne semblait laisser de traces. Heureusement qu’elle était là ma sœur bien-aimée. Ensemble nous attendions de voir la tête de la prochaine bonne et la regardions s’installer dans sa chambre au troisième étage, sous les toits.



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