mercredi 28 août 2019

50 av. de Verdun: la cuisine



Un couloir partait de la salle à manger pour atteindre la cuisine. L'horloge de la maison, accrochée bien haut à l'entrée du couloir résonnait régulièrement. Elle était précisément réglée par mon père qui  montait sur une chaise pour dresser l'animal. Lui seul était accrédité à  toucher l'horloge. Tant qu'il vivait, le temps battait sa mesure.

La cuisine était petite mais regorgeait pour moi de centres d’intérêt. Tout de suite à gauche en entrant se trouvait une porte qui donnait sur le jardin, puis une table et un évier. Des placards avaient été construits au dessus de l’évier et sur le côté.  Ils avaient été fait sur mesure, selon la taille de ma mère qui faisait un 1m52. Donc pratiquement personne ne pouvait se tenir droit pour faire la vaisselle. Je crois que maman cuisinait le dimanche, jour de congé de la bonne. Le vendredi, elle était partiellement présente et la bonne et elle s'affairaient à préparer le dîner de shabbat.

On ne parle pas d'une cuisine juive sans mentionner la carpe allongée dans l’évier, assommée mortellement par le bâton du poissonnier. En un instant elle se réveille, bondit hors de l’évier et gigote énergiquement sur le carrelage. Les hurlements de la bonne, à ce moment, alertent tout le quartier. "Madame, madame, venez vite!!!! La caaaaaaarpe!!!!" Maman, qui n'en est pas à sa première carpe,  vient au secours de la bonne et toute deux tachent de l'attraper, le tout accompagné de cris, gloussements et fou-rires. Moi, ça me faisait plaisir de voir maman et la bonne de bonne humeur ensemble. Cela n'arrivait pas souvent.

Une cuisinière en face de l’évier. Je ne savais pas cuisiner. Je ne savais rien faire, ni faire mon lit, ni mettre mon linge au linge sale, ni utiliser la machine à laver, ni passer l'aspirateur, ni, en général, faire le ménage. Rien. Maman ne voulait pas que je rentre dans la cuisine. Elle disait qu'il n'y avait pas de place. La bonne aimait bien au contraire que je m'assois près d'elle. Je la regardais hacher la viande, couper les légumes, laver les fruits. Elle me donnait un petit bout de fromage, une rondelle de pèche. "Comme tu es mignonne", elle disait. Je lui en était bien reconnaissante.

Pour mes sept ans mes parents m'ont offert un couple de canaris. On avait accroché la cage dans la cuisine entre le placard et la porte de la cave. Je me juchais sur un chaise et chantais avec les oiseaux. J'avais décidé de leur apprendre des chansons. Ce jeu m’occupa très longtemps et pendant des mois je bloquais l’accès à la cave. Les canaris eurent des petits. Je roucoulais de plus belle et élargissais mon répertoire. Parfois, la bonne se mettait à côté de moi et participait, plus ou moins consentante, à la chorale. Nous rions ensemble sous le regard des oiseaux. Je m'accrochais à son cou consciente de ces moments de bonheur volés. Car je le savais, elle pouvait, à tout moment, quitter sa place de bonne dans notre maison, parfois en laissant un billet derrière les volets, parfois non.




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