lundi 19 janvier 2015

Pas aujourd'hui.



La différence entre les morts et les vivants c'est que les vivants sont souvent absents. Ils apparaissent et disparaissent au gré d’activités routinières ou ponctuelles. Ils se rappellent à nous entre temps sur notre portable, sur whatsapp, facebook et autres agitations, comme s'ils étaient conscients du peu de continuité de leur présence, de sa fragilité, comme s'ils s'en excusaient tout en tirant désespérément sur notre jupe maternelle pour demander un peu d'attention et affection renouvelées.

Les morts n'ont pas besoin de tous ces artifices: ils sont là de façon permanente. Leur acte de présence est indéniable que ce soit tout de suite après le décès ou des décennies après.   Il vaut mieux faire preuve de vigilance des le départ car, en fait, les disparus se permettent des choses qu'ils n'auraient pas fait de leur vivant. Ils se rapprochent, ils nous apprivoisent, on peut sentir leur haleine, ils nous murmurent des secrets dans l'oreille alors que de leur vivant c'est tout juste s'ils déposaient un baiser sur notre joue une fois de l'an.

Ce manège a un but bien précis; traverser la paroi de notre poitrine et s’installer, ni vu ni connu, tout au plus profond de notre cœur qui lui, bat et se débat encore. Arrivé à cette destination, le mort s'installe de façon permanente. Cette procédure est bien évidemment douloureuse et pratiquée sans anesthésie. Cela dure parfois longtemps. Parfois on panique un peu . "Non, mais ce n'est pas possible, cela fait longtemps que cela aurait du se terminer. Docteur vous êtes sur que c'est normal?" 

Je ne sais pas pourquoi je parle de tout ca.  Mon cœur est tranquille et opaque. Pour moi ce soir, les morts sont loin. J'ai placé des plaques d'acier sur ma poitrine. J'ai mis des barrières autour de mon corps. J'ai refermé toutes les fenêtres et les volets de  fer pour ne pas voir. J'ai mis des portes capitonnées pour ne pas entendre. Ah j'ai oublié de dire que parfois, tout en résidant de façon permanente dans notre cœur, il arrive aux disparus de s’échapper. Ca n'est pas toujours beau à voir.

Je suis tranquille pour ce soir, pour quelques heures. Personne n'entrera ni ne sortira aujourd'hui. Pas aujourd'hui.