jeudi 1 novembre 2018

50 av. de Verdun: La véranda


La salle à manger donnait sur une véranda qui faisait le lien entre la cour et la salle à manger. Elle était couverte par un toit gondolé.  Il existait également une porte dans la cuisine qui donnait sur la cour. Bien que petite de surface, la véranda offrait de nombreuses possibilités de jeu et je pouvais y passer des heures. Ses centres d'intérêts principaux étaient le placard, le garde-manger, la table et le frigo.

J'ai hérité de ma mère la capacité de créer un foutoir innommable dans les placards et armoires. Surtout les placards. Celui de la véranda était blanc, haut et étroit, avec un grand tiroir en bas et quelques étagères. Maman y rangeait tout et rien, des accessoires, de vieux tissus. Dès mon plus jeune âge, j'aimais ouvrir le tiroir et me hausser dessus pour admirer le contenu du meuble. Souvent j'en sortais des affaires pour les essayer plus tard: un chapeau, des foulards, des vêtements. La bonne me laissait jouer dans le placard pendant un bon moment. C’était son intérêt car pendant ce temps-là je la laissais tranquille. Maman non plus, ne s'offusquait guère quand je vidais la moitié du placard. Elle avait l'air de trouver ça tout à fait normal.

Le garde-manger offrait quant à lui des jeux d'une autre sorte. Il était composé de petits tiroirs. On les ouvrait, puis on les fermait. Puis on les ouvrait et on les fermait. Je ne me souviens pas trop, à vrai dire, des objets rangés dans les petits tiroirs. En fait, je crois que c’était un garde-manger qui ne servait plus de garde-manger. Il contenait des choses hétéroclites dont on ne se servait plus. Ma mère aimait garder les vieilles choses. Au bout de l'armoire se trouvait un grand tiroir qui explosait de nourriture, surtout de friandises et entre autre de chocolat. Les barres de chocolat avaient attrapé les meilleures places, tout en haut. J'ouvrais le tiroir et les regardais avec envie. Je savais que je ne pourrai pas en manger sans recevoir préalablement l'autorisation d'un adulte. Je les regardais longtemps, enragée d'une part mais soumise aussi. Soumise à la loi du plus fort.

Juste en face du tiroir se trouvait le frigo. Mon occupation avec le frigo ressemblait à celle avec le  garde-manger. J'ouvrais la porte puis je la fermais. Puis je l'ouvrais et je la fermais. Sur les étagères du frigo je découvrais quotidiennement les restes des plats de la veille ou de ce midi, des bouteilles, chacune avec son odeur particulière, de vin, de jus de fruit, de lait. et puis aussi des légumes et quelques condiments et sauces. Régulièrement, maman confectionnait des desserts au chocolat. Elle faisait bouillir du lait dont l'odeur m’était insupportable. Elle versait le liquide chocolaté dans des mazagrans qui allaient ensuite refroidir au frigo sous mon œil attentif. Un autre jour, une des bouteilles m’intrigua, le liquide était jaunâtre et l'odeur plutôt acide. J'en conclu qu'il s'agissait d'un jus de fruit, empoignai la bouteille et bu au goulot. Je recrachai tout de suite l’infâme boisson. Plus tard on m'apprit que c’était du jus de poireau. Très bon pour la santé, parait-il.


A côté du frigo, se trouvait la table, recouverte d'une nappe en plastique. Parfois je m'y asseyais pour dessiner ou colorier. Le motif répétitif de la nappe était la publicité Y'a bon Banania. Pendant toute mon enfance, cet homme jovial qui avait toujours l'air content et que j'appelais M. Banania, me donna des conseils sur tout. Il aimait bien quand je faisais des calques de son image et les emmenais dans ma chambre ou les mettais dans mon cartable. Comme ca, je pouvais lui parler quand je voulais, quand j’étais seule, ce qui en fait n'arrivait pas souvent puisque la bonne était toujours dans les alentours et ma sœur omniprésente une fois rentrée de l’école. Pourtant, souvent, je me sentais seule. J'avais des jours que j'appelais"camembert" qui étaient doux et calmes et des jours "saucissons" envahis par les pensées rapides, un point d'euphorie et un peu de bonheur. Quand je demandais à M. Banania ce qu'il en pensait il me dit "Reste encore un peu".



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