mercredi 5 août 2020

50 av. de Verdun: la chambre de bonne



Pour accéder à la chambre de bonne, il fallait monter les escaliers jusqu’au 3ème étage, sous les combles. Eclairée par une fenêtre de toit, la chambre était bien aménagée, étant habitée depuis longtemps par les domestiques qui avaient traversées notre maison. Elle comportait un grand lit très large, une grande armoire, une table de travail et un genre de canapé ancien ; Je crois me souvenir que c’était une méridienne, mais je doute que ce soit le cas. Située au-dessus de ma chambre, elle donnait elle-aussi sur l’avenue de Verdun, également avec un radiateur devant la fenêtre. 

Cet endroit m’était familier et l‘était d’autant plus quand se créait un lien important entre la bonne et moi. De façon générale, je m’entendais bien avec elle, ayant vite compris que malgré ses airs de Bécassine écervelée, elle régnait sur mon existence avec un pouvoir certain. Agée de 16 ans environ quand elle mettait le pied chez nous pour la première fois, elle nous quittait pour se marier ou tout simplement s’évader de ce travail très dur, 24h sur 24h avec le dimanche de congé. A mon grand désarroi, ma mère se chargeait parfois de la présenter à un jeune homme. La bonne qui travaillait chez nous quand j’avais environ 4-5 ans, et dont j’ai oublié le nom, se maria avec un ingénieur, et ma mère n’était pas peu fière d’avoir organisé leur rencontre. Une belle photo des mariés resta longtemps dans l’armoire de maman. Elle avait fait une bonne action mais moi j’avais encore perdu une gentille compagne de vie et j’avais du chagrin. 

De retour de la maternelle ou de l’école, je suivais la bonne partout, comme un petit toutou talonne celle qui va l’abreuver, l’alimenter et lui donner quelques caresses. Je la suivais aussi jusque dans sa chambre et cela arrangeait tout le monde. Elle pouvait mettre la radio et s’affairer à ce que bon lui semblait. Moi, je m’allongeais sur le lit et m’endormais. A mon réveil je coloriais sur son papier à lettre ou découpais des figurines. Pendant ce temps-là elle faisait son courrier, son petit ménage ou sa lessive. On était bien contentes toutes les deux. On se faisait notre petite vie. Ensuite on dévalait les escaliers en s’esclaffant et elle me donnait mon goûter dans la cuisine. 

Quand je grandis, environ à partir de l’âge de 10 ans, un grand changement s’opéra concernant mon lien avec la bonne. Elle me racontait son histoire. Elle parlait de sa famille, de son village, du bal ou elle avait rencontré un gentil garçon. Elle riait de bon cœur mais parfois elle pleurait sur ma petite épaule, pas trop fort, pour que personne d’autre que moi ne l’entende. Nous guettions ensemble le bruit de la porte d’entrée. Quand elle pleurait, elle ne disait pas pourquoi ; je pressentais bien que ces larmes étaient de mauvais augure. Deux ou trois semaines plus tard elle rentrait chez ses parents, sans même me dire au revoir, sans un baiser. Moi, je savais bien qu’elle ne pouvait pas faire autrement, alors je lui pardonnais. 

J’allais dans sa chambre, je m’allongeais sur le lit et m’endormais. A mon réveil je m’asseyais près de la table et attendais. J’attendais jusqu’à ce qu’une voix chuchote dans mon oreille « c’est pas grave, ma chérie, c’est des choses qui arrivent, ça va aller ». Mais le moins je pensais que c’était grave, le plus j’avais mal au ventre.  Lui aussi il me parlait, il disait que j’étais une très grosse menteuse et que ce n’était pas vrai ; ça n’allait pas du tout. Il se chargeait de me le faire savoir. Ah non mais ! En fait, je n’étais pas seule ; Je pouvais compter sur mon ventre pour me tenir compagnie et sur ma sœur aussi qui n’était jamais loin et sur qui aucun événement ne semblait laisser de traces. Heureusement qu’elle était là ma sœur bien-aimée. Ensemble nous attendions de voir la tête de la prochaine bonne et la regardions s’installer dans sa chambre au troisième étage, sous les toits.



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