mardi 28 juillet 2020

50 av. de Verdun: ma chambre II


Après avoir obtenu son bac, ma sœur bien-aimée quitta la maison pour faire ses études à Paris. Encore plongée dans l’égoïsme de l’enfance, je ne voyais que mon désarroi devant la sensation de manque qui m’enveloppa rapidement telle une brume opaque et tenace.  Malgré mes 11 ans je n’étais pas capable d’intégrer l’idée simple qu’elle devait faire sa vie, ce qui impliquait un déménagement vers la capitale. Je n’avais même pas pensé au fait que la chambre que je partageais avec elle, deviendrait ma chambre, mon domaine privé, et que ma qualité de vie s’en trouverait ainsi améliorée.

Finies les glissades sous le meuble qui longeait le lit suite aux coups de pieds intempestifs de ma sœur pendant la nuit. En même temps je commençais ma sixième à l'annexe internationale de St Maur. Mi- surdouée, mi- attardée, je n’avais pas beaucoup d’amies et la mélancolie m'envahissait jour après jour comme si elle seule donnait une réponse à la solitude générée par l’absence de ma sœur. Ce premier départ en prédisait d’autres, quand elle se maria et plus tard, quand elle partit vivre en Israël avec sa famille. Je les vécus tous comme une punition inéluctable.

En 1969, je commençai à écrire. Assise sur mon lit, entourée de mes bibelots, mes livres et mes magazines préférés, je me livrais à des réflexions interminables en prose ou en vers. Un an après le départ de ma sœur, à la rentrée scolaire de 1968, je rencontrai deux jeunes personnes venues de la capitale. Tels des anges descendus du ciel, elle et lui partagèrent mon chemin pour de longues années. Tous deux réussirent  par leur amour et amitié intangibles à colorer mon existence de toutes les couleurs du bonheur et à me faire passer le cap de l’adolescence avec facilité.

Aimée, certes, par ma famille et mes amis, j’étais aussi une enfant prise en otage par des parents au caractère instable; ils passaient rapidement de la bonne humeur au désespoir, me laissant impuissante devant un gouffre innommable, celui de leur manque et de leur douleur. Cet abîme n’était pas le mien mais je glissais dedans quand même, ma sœur n’étant plus là pour le démentir et tenter de le dissimuler en m’emmenant dans les étages pour jouer ou déclamer des pièces de Courteline. « Ce sont leurs histoires », disait-elle, mais, inconsciemment, elle mentait : C’était également notre histoire, et quand ma sœur ne fut plus là pour me protéger du passé, je restai démunie.

Un cousin d’Amérique nous avait rendu visite et m’avait apporté un magnétophone. J’avais environ 12 ans. Je passais des heures entières dans ma chambre à jouer avec cet appareil, prétendant être journaliste ou écrivaine sur un plateau de télévision. J’y parlais de mes poèmes que j’enregistrais  en parallèle. Je ne les faisais entendre par personne et ne les montrais à personne. Il fallut attendre la visite de Monsieur Paquet, un des représentants de la fabrique de mes parents. Il dormait chez nous, parfois, et nous avions tous à la maison beaucoup d’affection pour lui. Un jour, je lui montrai quelques poèmes et il les lus avec beaucoup d’attention. Il m’encouragea à persévérer.  

En 1972 je fis un voyage de deux mois à New-York et revint grandie sous toutes les formes. J’avais rencontré beaucoup de gens, surtout des étudiants et des artistes avec qui je pouvais partager mon immense goût pour la littérature, l’écriture, le cinéma et la musique. Je rentrais chez moi armée d’une grande affiche qui disait : « War, it’s a dying business ». Elle trôna longtemps à la tête de mon lit. Un poster de Bob Dylan se trouvait au-dessus de ma table de travail. Celle-ci comportait un tiroir secret. Il fallait pour le découvrir, tourner la table d’une certaine façon. Curieusement, il ne me vint jamais à l’esprit d’y dissimuler quelque chose, comme une lettre ou un billet. J’exposais bien au contraire mes écrits sur le mur de la chambre, au vu et au su de tous. 

Ma chambre disposait d’une cheminée qui était condamnée. Le vent s’y engouffrait avec force les nuits d’hiver m’imposant un grondement un peu lugubre mais auquel je m’étais habituée. A ce vacarme s’ajoutait le bruit de la circulation. Notre maison n’était qu’à quelques mètres de feux de signalisation et parfois des crissements formidables parvenaient à ma fenêtre. Dans les années 60 l’on pouvait compter aussi sur les soldats américains pour dégueuler ou crier sous nos fenêtres lorsque qu’ils revenaient d’une soirée bien arrosée dans une boîte de nuit. Ce tapage ne me dérangeait pas outre mesure. Je lisais tard, très tard. Vers l’âge de 15 ans, j’avais découvert Garcia de Lorca, Max Jacob, Apollinaire, Aragon, Desnos et bien d’autres encore. Ils vivaient avec moi, la nuit, entre l’ombre et le fracas. 



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