Après avoir
obtenu son bac, ma sœur bien-aimée quitta la maison pour faire ses études à
Paris. Encore plongée dans l’égoïsme de l’enfance, je ne voyais que mon
désarroi devant la sensation de manque qui m’enveloppa rapidement telle une
brume opaque et tenace. Malgré mes 11
ans je n’étais pas capable d’intégrer l’idée simple qu’elle devait faire sa vie,
ce qui impliquait un déménagement vers la capitale. Je n’avais même pas pensé
au fait que la chambre que je partageais avec elle, deviendrait ma chambre, mon
domaine privé, et que ma qualité de vie s’en trouverait ainsi améliorée.
Finies les
glissades sous le meuble qui longeait le lit suite aux
coups de pieds intempestifs de ma sœur pendant la nuit. En même temps je
commençais ma sixième à l'annexe internationale de St Maur. Mi-
surdouée, mi- attardée, je n’avais pas beaucoup d’amies et la mélancolie
m'envahissait jour après jour comme si elle seule donnait une réponse à la
solitude générée par l’absence de ma sœur. Ce premier départ en prédisait
d’autres, quand elle se maria et plus tard, quand elle partit vivre en Israël
avec sa famille. Je les vécus tous comme une punition inéluctable.
En 1969, je commençai
à écrire. Assise sur mon lit, entourée de mes bibelots, mes livres et mes magazines
préférés, je me livrais à des réflexions interminables en prose ou en vers. Un
an après le départ de ma sœur, à la rentrée scolaire de 1968, je rencontrai
deux jeunes personnes venues de la capitale. Tels des anges descendus du ciel,
elle et lui partagèrent mon chemin pour de longues années. Tous deux réussirent par leur amour et amitié intangibles à
colorer mon existence de toutes les couleurs du bonheur et à me faire passer le
cap de l’adolescence avec facilité.
Aimée,
certes, par ma famille et mes amis, j’étais aussi une enfant prise en otage par
des parents au caractère instable; ils passaient rapidement de la bonne humeur
au désespoir, me laissant impuissante devant un gouffre innommable, celui de
leur manque et de leur douleur. Cet abîme n’était pas le mien mais je glissais
dedans quand même, ma sœur n’étant plus là pour le démentir et tenter de le
dissimuler en m’emmenant dans les étages pour jouer ou déclamer des pièces de
Courteline. « Ce sont leurs histoires », disait-elle, mais,
inconsciemment, elle mentait : C’était également notre histoire, et quand
ma sœur ne fut plus là pour me protéger du passé, je restai démunie.
Un cousin
d’Amérique nous avait rendu visite et m’avait apporté un magnétophone. J’avais
environ 12 ans. Je passais des heures entières dans ma chambre à jouer avec cet
appareil, prétendant être journaliste ou écrivaine sur un plateau de
télévision. J’y parlais de mes poèmes que j’enregistrais en parallèle. Je ne les faisais entendre par
personne et ne les montrais à personne. Il fallut attendre la visite de
Monsieur Paquet, un des représentants de la fabrique de mes parents. Il dormait
chez nous, parfois, et nous avions tous à la maison beaucoup d’affection pour
lui. Un jour, je lui montrai quelques poèmes et il les lus avec beaucoup
d’attention. Il m’encouragea à persévérer.
En 1972 je
fis un voyage de deux mois à New-York et revint grandie
sous toutes les formes. J’avais rencontré beaucoup de gens, surtout des
étudiants et des artistes avec qui je pouvais partager mon immense goût pour la
littérature, l’écriture, le cinéma et la musique. Je rentrais chez moi armée
d’une grande affiche qui disait : « War, it’s a dying
business ». Elle trôna longtemps à la tête de mon lit. Un poster de Bob
Dylan se trouvait au-dessus de ma table de travail. Celle-ci comportait un
tiroir secret. Il fallait pour le découvrir, tourner la table d’une certaine façon.
Curieusement, il ne me vint jamais à l’esprit d’y dissimuler quelque chose,
comme une lettre ou un billet. J’exposais bien au contraire mes écrits sur le
mur de la chambre, au vu et au su de tous.
Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2015-2020
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